vendredi 1 mai 2020

in memoriam • cahiers du cinéma . david lynch, twin peaks-le retour (2017)



CAHIERS DU CINEMA
N°735, juillet/août 2017

Stéphane Delorme, rédacteur en chef


NON EXISTANT

TWIN PEAKS (LE RETOUR), série télévisée en 18 épisodes de David Lynch
Etats-Unis, 2017

Avec Kyle MacLachlan, David Lynch, Robert Forster, Laura Dern, Naomi Watts, Sheril Lee…

Editorial de Stéphane Delorme

Lorsque Dale Cooper sort enfin de la Black Lodge et tombe dans l’infini, l’arbre crie : « Non existant ! » Oui, ce que l’on voit est bien non existant. Quel cadeau inespéré nous fait David Lynch, 25 ans après. La saison 3 de Twin Peaks, intégralement réalisé par lui, est un feu d’artifice. Dans un de ses rares entretiens, il dit qu’il a moins conçu une série qu’un film de 18 heures, à découvrir chaque semaine (18 épisodes jusqu’au 3 septembre). Un film qui n’en finit pas de recommencer et qui multiplie les pics. On s’extasie à peine sur l’épisode new-yorkais que le 3 arrive avec sa tête d’Eraserhead, puis le 6 hyper-violent, puis le 8. Deux photos entrevues dans le bueau de Gordon Cole, Kafka et la bombe atomique, et BOUM, cinq épisodes plus tard la bombe explose en 1945 et crée la métamorphose d’un insecte mutant. Chaque fois qu’il fait un pas vers le vieux monde de Twin Peaks, un bond en arrière nous renvoie toujours plus loin. Lynch sait qu’il a capturé un « gros poisson », comme il dit dans son art poétique Catching the Big Fish (Mon histoire vraie). Gordon Cole le confirme lorsqu’il répète (comme Dougie) ce que lui dit Denise : « You are on something Big - Il acquiesce : Big ».

La saison 3 est un geste immense comme si Lynch voulait faire communiquer toutes ses idées. Créer le grand œuvre, la synthèse, tout en évitant la compilation. Et en même temps qu’il s’aventure au plus loin, il n’oublie pas Twin Peaks. La saison se fait sans certains personnages, ce n’est plus leur histoire, et pourtant ces retrouvailles qu’on attend, Lynch les offre : James, Bobby, une séquence suffit. Il appuie à peine et on est dévasté. Il sait qu’il est au volant d’une Rolls. Mais même une Rolls ronronne. Alors, il saute ailleurs, change constamment d’échelle, mais sans épate. Il suffit d’une bête qui entre lentement dans la bouche d’une adolescente pour que tout le cinéma d’horreur reparte à zéro. L’absence d’explication immédiate fait dériver notre esprit, on cherche, on pense, on imagine. Il joue au chat et à la souris, mais on est entre de bonnes mains, comblé de signes et d’émotions. Ce que la périodicité permet de précieux, c’est de voir une œuvre d’art se créer sous nos yeux.

Une émotion inédite naît aussi de ces retrouvailles avec les acteurs. Les trois rôles donnés à Kyle MacLachlan (exceptionnel) rappellent le rôle feuilleté de Laura Dern dans Inland Empire. Les deux fois c’est l’impulsion d’un acteur, d’un ami qui donne le feu vert. Ces deux comédiens, il les a découvert quand ils avaient 20 ans, ils s’aimaient dans Blue Velvet et dans la vie : elle seule forcément pouvait jouer Diane. Il y a aussi la dédicace aux acteurs disparus, alors même qu’ils apparaissent dans la série. Catherine Coulson (la Femme à la bûche), Miguel Ferrer (Albert), Warren Frost (Dr Hayward) sont filmés pour la dernière fois. La série prend la forme d’un adieu aux amis. Rien que le plan de Harry Dean Stanton sur son banc ! On le retrouve là où il était resté à regarder les étoiles à la fin d’Une histoire vraie. Toutes ces idées bouleversent. Même à l’écran, sous les traits de Gordon Cole, Lynch se promène toujours avec Albert et la nouvelle recrue Tammy, et il a besoin en plus de Diane. Il veut rassembler tout le monde dans son arche de Noé.

Parler d’un film en cours est un exercice périlleux, d’autant plus quand il prend une forme fragmentée. Notre ensemble tout aussi fragmenté replace dans l’œuvre, multiplie les entrées et célèbre des idées (d’où « The Alphabet » en hommage à son court métrage de 1968). Notre souhait est d’accompagner les lecteurs que Lynch aura certainement entretemps fait passer dans d’autres mondes. De donner aussi envie de revoir les premiers épisodes de la saison car chacun est si nouveau qu’il a tendance à effacer le précédent. Or c’est bien un ensemble qui se présente, morceau par morceau. Revoir les épisodes réserve une expérience différente. C’est un monde glacial, et pourtant on y est bien, parce que l’intelligence, la curiosité, la beauté, l’amour, s’ils menacent de disparaître, sont partout dans le regard de Lynch. Dans le vieux Twin Peaks, Gordon Cole, porte-parole (ou plutôt haut-parleur) du cinéaste, braillait au milieu du chaos : « Let your smile be your umbrella » - que ton sourire soit ton parapluie.

S.D.    


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