CAHIERS
DU CINEMA
N°735,
juillet/août 2017
NON EXISTANT
TWIN PEAKS (LE RETOUR), série télévisée en 18 épisodes
de David Lynch
Etats-Unis, 2017
Avec Kyle MacLachlan, David Lynch, Robert Forster, Laura
Dern, Naomi Watts, Sheril Lee…
Editorial de Stéphane Delorme
Lorsque
Dale Cooper sort enfin de la Black Lodge et tombe dans l’infini, l’arbre
crie : « Non existant ! » Oui, ce que l’on voit
est bien non existant. Quel cadeau inespéré nous fait David Lynch, 25 ans
après. La saison 3 de Twin Peaks, intégralement réalisé par lui, est un
feu d’artifice. Dans un de ses rares entretiens, il dit qu’il a moins conçu une
série qu’un film de 18 heures, à découvrir chaque semaine (18 épisodes jusqu’au
3 septembre). Un film qui n’en finit pas de recommencer et qui multiplie les
pics. On s’extasie à peine sur l’épisode new-yorkais que le 3 arrive avec sa
tête d’Eraserhead, puis le 6 hyper-violent, puis le 8. Deux photos
entrevues dans le bueau de Gordon Cole, Kafka et la bombe atomique, et BOUM,
cinq épisodes plus tard la bombe explose en 1945 et crée la métamorphose d’un
insecte mutant. Chaque fois qu’il fait un pas vers le vieux monde de Twin
Peaks, un bond en arrière nous renvoie toujours plus loin. Lynch sait qu’il a
capturé un « gros poisson », comme il dit dans son art poétique
Catching the Big Fish (Mon histoire vraie). Gordon Cole le confirme
lorsqu’il répète (comme Dougie) ce que lui dit Denise : « You
are on something Big - Il acquiesce : Big ».
La
saison 3 est un geste immense comme si Lynch voulait faire communiquer toutes
ses idées. Créer le grand œuvre, la synthèse, tout en évitant la compilation.
Et en même temps qu’il s’aventure au plus loin, il n’oublie pas Twin Peaks. La
saison se fait sans certains personnages, ce n’est plus leur histoire, et
pourtant ces retrouvailles qu’on attend, Lynch les offre : James, Bobby,
une séquence suffit. Il appuie à peine et on est dévasté. Il sait qu’il est au
volant d’une Rolls. Mais même une Rolls ronronne. Alors, il saute ailleurs,
change constamment d’échelle, mais sans épate. Il suffit d’une bête qui entre
lentement dans la bouche d’une adolescente pour que tout le cinéma d’horreur
reparte à zéro. L’absence d’explication immédiate fait dériver notre esprit, on
cherche, on pense, on imagine. Il joue au chat et à la souris, mais on est
entre de bonnes mains, comblé de signes et d’émotions. Ce que la périodicité
permet de précieux, c’est de voir une œuvre d’art se créer sous nos yeux.
Une
émotion inédite naît aussi de ces retrouvailles avec les acteurs. Les trois
rôles donnés à Kyle MacLachlan (exceptionnel) rappellent le rôle feuilleté de
Laura Dern dans Inland Empire. Les deux fois c’est l’impulsion d’un
acteur, d’un ami qui donne le feu vert. Ces deux comédiens, il les a découvert
quand ils avaient 20 ans, ils s’aimaient dans Blue Velvet et dans la vie :
elle seule forcément pouvait jouer Diane. Il y a aussi la dédicace aux
acteurs disparus, alors même qu’ils apparaissent dans la série. Catherine
Coulson (la Femme à la bûche), Miguel Ferrer (Albert), Warren Frost (Dr
Hayward) sont filmés pour la dernière fois. La série prend la forme d’un adieu
aux amis. Rien que le plan de Harry Dean Stanton sur son banc ! On le
retrouve là où il était resté à regarder les étoiles à la fin d’Une histoire
vraie. Toutes ces idées bouleversent. Même à l’écran, sous les traits de
Gordon Cole, Lynch se promène toujours avec Albert et la nouvelle recrue Tammy,
et il a besoin en plus de Diane. Il veut rassembler tout le monde dans son
arche de Noé.
Parler
d’un film en cours est un exercice périlleux, d’autant plus quand il prend une
forme fragmentée. Notre ensemble tout aussi fragmenté replace dans l’œuvre,
multiplie les entrées et célèbre des idées (d’où « The Alphabet » en
hommage à son court métrage de 1968). Notre souhait est d’accompagner les
lecteurs que Lynch aura certainement entretemps fait passer dans d’autres
mondes. De donner aussi envie de revoir les premiers épisodes de la saison car
chacun est si nouveau qu’il a tendance à effacer le précédent. Or c’est bien un
ensemble qui se présente, morceau par morceau. Revoir les épisodes réserve une
expérience différente. C’est un monde glacial, et pourtant on y est bien, parce
que l’intelligence, la curiosité, la beauté, l’amour, s’ils menacent de
disparaître, sont partout dans le regard de Lynch. Dans le vieux Twin Peaks,
Gordon Cole, porte-parole (ou plutôt haut-parleur) du cinéaste, braillait au
milieu du chaos : « Let your smile be your umbrella »
- que ton sourire soit ton parapluie.
S.D.
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