Avec quoi écrirait-on l’Histoire,
si ce n’est avec la personnalité ? Et la personnalité de Marguerite Long a
été cela, exactement : le témoin d’un siècle où s’est faite de si étonnante
façon la musique française. Il y a eu Cortot, certes : mais son nom
restera peut-être, dans l’Histoire, plus associé à ceux de Schumann ou de
Chopin. Quant à Debussy et Ravel, n’est-il pas vrai de dire que sans Marguerite
Long, c’est à un étranger, Ricardo Vines, qu’il appartiendrait de leur avoir
donné une voix ? Car la France produit des virtuoses certes, et des
musiciens. Mais il n’est pas habituel que ceux-ci associent leurs efforts et
leur nom à la musique de leur temps. Marguerite Long a créé la Ballade de Fauré,
quelques-unes des Etudes de Debussy et de Ravel, outre le Concerto en sol
majeur, le Tombeau de Couperin : cette partition même qui, à Montfort-l’Amaury,
se trouvait sur le piano à jamais muet de Ravel, à côté de ses lunettes
laissées là. Championnant ainsi les
musiciens et la musique de son temps (alors que sa vision classique la
disposait à Beethoven aussi bien, qu’elle a du reste enregistré avec non
moindre que Weingartner, ou à Mozart, dont elle avait le toucher incomparable),
Marguerite Long a eu la chance historique, enfin ménagée par le disque devenu
adulte, de pouvoir laisser à l’éternité des témoignages sonores et vivants de
sa collaboration avec ses maîtres et amis : ainsi ce Concerto en sol, joué
comme on rêve, en communion avec Ravel qui n’allait pas tarder à mourir, et qui
entre ici vivant dans sa propre immortalité. Rare témoignage qui préserve pour
tous les temps de spontanéité d’une première fois qui était aussi en l’occurrence,
une fois pour toutes. Cette poésie chantante des avenues de rêve et de
son fait lumière qu’ouvre le mystérieux andante, qui d’autre a su lui donner ainsi
l’évidence, qui en même temps est son secret ? Il y fallait des doigts
français, poètes plus que jolis, il y fallait une sensibilité française. Et
surtout il n’y fallait aucun dogmatisme, parce qu’elle avait tout vu et tout
entendu, parce qu’elle avait enregistré au Conservatoire de Paris dès 1906 (à
32 ans), parce qu’un plein demi-siècle elle avait régné sur des générations d’aspirants
pianistes (Bruno Leonardo Gelber ne fut-il pas le dernier à saisir d’elle le
secret de ses doigts poètes ?), parce qu’elle a attaché son nom à celui de
Jacques Thibaud) à un des rares concours internationaux qui fassent vraiment de
l’exception une sorte de régie. Pourtant qu’on écoute Marguerite Long. Rien de
dogmatique ici. Quoiqu’elle soit avec Ravel, elle ne prétend pas nous dire la
vérité sur Ravel. Elle laisse parler la musique. Elle-même effacée, elle-même
en retrait, elle semble écouter plutôt que parler. Une fausse note ne la
surprendrait pas, ne la scandaliserait pas. Elle y verrait peut-être la preuve
qu’il s’agit de musique vivante, cette vivante passionnée, cette indomptable
qui, près de quatre-vingt-dix ans su vivre de musique et avec la musique vivante.
(André Tubeuf)
Maurice Ravel, Concerto en
sol majeur pour piano et orchestre
1. Allegramente
2. Adagio assaï
3. Presto
Marguerite Long, piano
Orchestre Symphonique
Maurice Ravel, direction
Enregistré en avril 1932
Marguerite Marie Charlotte Long, née à Nîmes le 13
novembre 1874 et morte à Paris le 13 février 1966, est une pianiste française de
renommée internationale. Elle excella dans le répertoire français de l'époque
moderne, mais aussi dans Chopin et les romantiques
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