« L’opéra est un marqueur social ! » Pour beaucoup de nos concitoyens qui considèrent hâtivement que l’opéra ne s’est pas démocratisé, c’est une évidence. Pour nombre de lyricomanes qui ont l’habitude de fréquenter les salles lyriques, cette accusation – car c’en est une – apparaît souvent facile, rapide et donc partiellement hypocrite.
Partiellement
hypocrite car, je ne sais si vous l’avez remarqué comme moi, la question
tarifaire est quasiment le seul prisme par lequel la démocratisation de l’art
lyrique est abordée. Un marqueur social donc, car l’opéra serait
réservé à une élite argentée. La solution ? Inciter chaque année les
maisons d’opéra à justifier leurs tarifs soi-disant exorbitants et
à les tirer vers le bas pour permettre à une majorité de citoyens
financièrement écrasés de pouvoir accéder aux beautés de cet art ! Mais à y
regarder plus sincèrement…
Un petit tour d’horizon
des tarifs des spectacles dit « populaires »
Depuis quelques temps
bruissent dans Paris des échos du prochain spectacle de Madonna au Grand Rex.
Un spectacle annoncé intime pour la plus grande joie des fans qui pourront
accéder à leur idole pour peu qu’ils sacrifient au moins 400 € de leur pouvoir
d’achat (les tarifs iraient jusqu’à 700 €). Certains sur Twitter s’amusent en
évoquant la vente d’un de leurs organes pour s’offrir le précieux sésame. En
regardant les tarifs des concerts de Céline Dion, Beyoncé ou Patrick Bruel, on
constate rapidement qu’il n’y a rien à moins de 40 € (pour de mauvaises
places). Alors, il faut là aussi casser la tirelire…
Par ailleurs, je me suis
fais ironiquement la réflexion que n’ayant jamais bénéficié d’éveil à cette
forme d’expression musicale, je n’ai jamais accédé à un concert de rap de ma
vie et je dois même reconnaître que les us et coutumes des fans sont pour moi
une source d’angoisse car n’ayant aucun de leurs codes, j’ai peur de ne pas me
sentir à l’aise. À ce titre, j’ai pensé envoyer une lettre au Ministre de la
culture pour le supplier de démocratiser davantage le rap car force est de
constater que cette musique n’est pas parvenue jusqu’à moi, d’autant que les
prix des places ne sont pas donnés non plus et que les concerts de certains
rappeurs peuvent largement rivaliser avec ceux des reines de la pop ! Et
pourtant, rassurons-nous. Tout sera complet !
Le prix de l’opéra
Concrètement, pour ce
qui est, par exemple, de l’Opéra de Paris – et hors promotions en tout genre –
les tarifs s’échelonnent entre 15 et 240 €, soit une fourchette assez proche
des spectacles dits « populaires ».
Pour ce qui est des
opéras de province, les tarifs dégringolent. À titre d’exemple, pour l’Opéra de
Bordeaux, la fourchette se situe entre 29 et 112 €, à Lyon elle est entre 10 et
110 € et à Limoges on arrive à des tarifs compris entre 20 et 60 €. De fait,
l’opéra est moins cher quand on s’éloigne de la capitale, quand tant de
provinciaux viennent à Paris dépenser leurs économies pour le concert de la dernière
chanteuse à la mode.
Le paradoxe est que les
professionnels eux-mêmes aiment relayer à l’envi l’idée que l’opéra serait trop
cher ! Pour ma part, je suis né dans une famille modeste, je n’ai
bénéficié d’aucune éducation musicale et mon statut d’étudiant ne m’octroyait
pas beaucoup de moyens financiers. Toutefois, animé par un esprit de curiosité
et par le pressentiment que quelque chose allait se passer, j’ai consulté le
site internet de l’Opéra de Paris et là, miracle ! Je me suis rendu compte
que je pouvais aller à l’opéra pour le prix d’une place de cinéma. J’ai vu des
places à 10 €, des pass pour les jeunes à 20 € qui ouvraient droit à plein
d’avantages. Évidemment, ces lieux sont fréquentés par les hommes et femmes de
pouvoir, par les élites intellectuelles et financières mais le sont-ils
davantage que les stades de foot ? Et puis, peu m’importait en vérité car
la seule chose qui comptait pour moi, c’était de ne pas être financièrement
exclu.
Il ne s’agit pas ici
d’évacuer toute forme de questionnement sur le prix des places d’opéra et on
peut naturellement s’interroger sur l’évolution des tarifs depuis le début des
années 2000 et comme le rappelait très justement un de mes confrères dans un
précédent article consacré à l’élitisme
des places vides, à l’Opéra de Paris les places à 10 € sont passées à 15
€, une luxueuse catégorie Optima est apparue et le nombre de
places des catégories intermédiaires s’est considérablement réduit, entraînant
mécaniquement une hausse des prix et de la jauge pour les soirées les plus
courues. Les subventions données avec l’argent public à l’Opéra exigent que
l’institution rende des comptes mais, en terme de fourchette de prix, l’opéra
n’est pas plus cher que tout autre type de concerts.
Par ailleurs, il est
communément admis qu’une nouvelle production de l’Opéra de Paris coûte en
moyenne un million d’euros. Le metteur en scène et ses assistants, la
fabrication des décors et des costumes par les artisans des ateliers de
l’opéra, l’achat du matériel… Et cela sans compter les salaires de l’orchestre,
du chef d’orchestre, du chœur, du chef de chœur, etc. Tout cela fait du monde.
Tout cela fait du travail. Alors, pourquoi tout cela devrait-il
être moins cher qu’un show d’une star française ou américaine ? Pourquoi
l’opéra est-il la seule catégorie de spectacles systématiquement stigmatisée
sur le prix des places ? L’opéra ne mériterait-il donc aucun
sacrifice financier ?
C’est la raison pour
laquelle la question des prix de l’opéra m’a toujours profondément agacé en ce
qu’elle me semble hypocrite. Car soyons clair, au moins tous les gens qui iront
au concert de Madonna peuvent aussi s’offrir une place d’opéra. Et pourtant, la
majorité d’entre eux ne le font pas ! Pourquoi ?
Et si tout cela n’était
qu’une simple question de choix ?
Il devient indispensable
d’admettre que tout le monde a le droit de dépenser son argent comme il
l’entend et qu’il y a fort à parier que même à 100 € pour les meilleures places
et à 5 pour les plus mauvaises, l’opéra ne serait pas pris d’assaut par la
grande majorité de la population qui le considérerait toujours comme un
divertissement élitiste et trop exigeant. Ils auraient à la fois tort (on peut
aimer l’opéra sans avoir aucune référence) et raison (ces références aident à
l’appréciation du genre ou à décupler le plaisir). Une chose est certaine, tout
cela n’a pas grand-chose à voir avec la question tarifaire et nos élites – étatiques
et privées – invoquent souvent cette question pour mieux masquer la
forêt de tout ce qui pourrait être fait pour susciter l’envie et la curiosité.
Très prosaïquement, les
gens font le choix de ne pas aller à l’opéra comme je fais le choix de ne pas
aller entendre un concert de rap. Parce que ça ne nous parle pas, parce que ce
n’est pas notre univers. C’est mon droit. C’est le leur. Car mettre de l’argent
sur la table, c’est concrétiser un désir en sacrifiant à son plaisir une part
de son pouvoir d’achat. Le plus important est de considérer que les agents
économiques que nous sommes ont la responsabilité de leur choix et, dans ce
cadre, l’opéra ne doit pas être plus cher que les autres formes d’expressions
musicales. À ce titre, les subventions publiques permettent en France de faire
que l’opéra soit, au moins financièrement, accessible au plus grand nombre
(rappelons comparativement que la fourchette de prix du Metropolitan Opera de
New York oscille entre 50 et 380 $).
Aussi, à mon sens, c’est
le désir qu’il faut éveiller et non la baisse des prix qu’il faut conquérir. Il
n’y aurait rien de plus affreux que la gratuité qui fait d’un spectacle un
divertissement au rabais alors qu’il doit être une recherche (ce point de vue
est d’ailleurs aussi valable pour toutes les autres institutions culturelles
comme les théâtres et les musées). Une recherche de beauté et d’émancipation
qui a un coût et qu’il faut accepter. On y arrive pour Madonna, on peut bien y
arriver pour Verdi !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire