Qu’y a-t-il dans mon puits au
fond de mon jardin ? Bien peu le savent et bien peu comprennent pourquoi
j’ai mis mon puits au fond de mon jardin. Je ne peux l’expliquer mais seulement
me dire à moi-même, ce moi qui parfois me comprend, que cette terre sur
laquelle j’ai été jeté de force n’est en rien nourricière et protectrice
puisque, toujours, elle abandonne les plus faibles, les plus démunis, les plus
sensibles, les plus déconnectés avec ce qu’on appel la vie. Sur cette terre
hostile, j’ai construit mon puits pour y enfouir mon moi et le protéger de tout
ce qui existe, de tout ce qui ne peut qu’altérer son intégralité. C’est là que
chaque nuit je le rejoins pour, avec lui, ne faire plus qu’un et méditer sur ce
temps irréaliste que nous sommes tous obligés de passer ici. C’est là, dans ce
trou, dans cette profondeur que je suis libre, que je pense sans être jugé, que
j’exprime mes tripes, que je libère ma pensée. Seul mon miroir est autorisé à
vivre ce moment privilégié, parce que mon miroir c’est moi, à moins que ce soi
moi qui suis lui. Je vis avec lui. Il vit avec moi. Nous sommes un et
indissociables. Nous seuls existons et nous seuls pensons, voyons et entendons.
Et ce que nous constatons, c’est que, à part les vieux murs de pierre qui
consolident le puits, nous sommes seuls, les seuls à habiter cet univers de
destruction, noir comme un écran blanc sans lumière où Godard, Hitchcock et
Lynch ne sont qu’illusions parce que le faisceau de lumière du projecteur Pathé
a disparu à tout jamais. Seuls, mon miroir et moi, sommes. Vous qui me lisez –
si vous me lisez et si vous êtes vous – nous n’êtes pas et vous n’avez jamais
été. L’autre est toujours une invention de notre pensée qui doit être considérée
comme telle. Et ici, recroquevillés tout au fond, nous savons que rien,
personne, n’existe autour de nous. C’est un profond soulagement qui nous laisse
augurer des jours lumineux que nous vivrons quand mous aurons franchi la porte.
Nous aurons certes un regret – quoi que, sait-on jamais – c’est de ne plus
converser avec ceux qui nous ont tout appris, ceux qui nous ont ouvert toutes
grandes les portes libérant les chemins de notre vérité, Freud, Hitchcock,
Wagner, Lynch, Charles Montaland – notre professeur d’écriture musicale –, les
Cahiers du Cinéma, et quelques rares autres qui se reconnaîtront. Le puits au
fond du jardin est notre conscience, cette chose infréquentable dans cette
société construite sur les illusions les plus fragiles.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire