Richard Wagner, Tristan et Isolde
Siegfried Jerusalem, Tristan
Waltraud Meier, Isolde
Heiner Müller, mise en scène
Bayreuth 1995
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Il y eut – il y est peut-être toujours –
Tristan à l’opéra Bastille qui se trouve être à Paris. Je n’y étais pas. Je ne vais plus à Bastille
depuis que j’ai vu une immonde Walkyrie dirigé par un chef immonde, le fils du
grand et immense Armin Jordan décédé aujourd’hui. Mais toujours passionné par
l’œuvre ultime et définitive de l’histoire de la musique, j’ai lu toutes les
critiques qui me tombaient sous la main. Et comme à leur habitude, ce n’étaient
que des torchons écrits par des incompétents qui n’aiment pas la musique. Le
pompon c’est le scribouillard de forumopera.com et le sur-pompon ce sont les
avis des lecteurs – des ados boutonneux au cerveau abimé – de ce même forum. La
question – et le débat se prolonge sur plusieurs pages – est de savoir pourquoi
le metteur en scène a fait jouir Isolde sur le corps de Tristan mort, au rideau
final, au lieu de la faire mourir d’extase et d’amour comme le veut la
tradition. Cependant, il est vrai que rien n’indique dans la partition
qu’Isolde meurt. Elle sombre simplement dans sa folie qui n’est que la folie
des hommes et qui nous sauve tous du suicide. Ils étaient peut-être une
cinquantaine à débattre et aucun n’a pu penser, un seul instant, que tout cela
n’est qu’un rêve dans un rêve dont le rêveur n’est pas celui qu’on pense, mais
celui qui ne rêve pas qu’il rêve et qui donc rêve vraiment. La vérité – la
mienne donc la seule puisque c’est celle qui m’appartient – c’est que Tristan
et Isolde sont des ennemis jurés et que s’ils tombent subitement amoureux –
c’est ce que l’on croit – c’est qu’ils ont bu, par erreur, un philtre d’amour en
place d’un philtre de mort, Isolde voulant la peau de son soi-disant futur
amant. Amant ? Ont-ils couchés ? Non ! Jamais ils ne se sont
rencontrés. Leur fameux duo d’amour du II n’est qu’un fantasme isolé, l’un et
l’autre criant leur amour à eux-mêmes. Tristan et Isolde ne sont pas. Dans la
mise en scène légendaire de Heiner Müller en 1995 à Bayreuth – vu à l’opéra de
Lyon le dernière saison – les personnages entrent et sortent sans entrer ni
sortir. Ils apparaissent et disparaissent comme par enchantement. Au III, ils
se confondent dans le gris uniforme et graveleux du décor. Ils ne sont pas.
Tristan et Isolde n’est qu’un illusion – pas d’amour, pas de conflit, pas
combat -, une histoire qui se déroule dans notre imagination, une histoire qui
ressemble étrangement à notre vie qui, elle aussi, n’est qu’une vaste illusion
où nous nous fatiguons à croire en rien, à agir immobile et à sauver un présent
qui ne peut exister. En cela, Wagner rejoint Lynch où la notion du temps n’est
pas celle de l’horloge ou du calendrier, mais celle du temps qui se superpose
et qui jamais de s’arrête au bon endroit. Et c’est pour cela que le détail est
superflu. Seule la ligne compte, cette ligne qui part de rien pour submerger
les univers de pensées et s’abimer dans les gouffres des océans comme si rien
ne s’était jamais passé.
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